Le Dormeur Du Val (1870)
Par: Arthur Rimbaud
C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Debut/Top
Abyssal (2016)
Par: Nadia Ben Slima
Quand comprendras-tu?
tu n’es pas ce que tu crains
et les peurs ne revêtent
que les âmes muettes
les peines que tu repeins
d’une angoisse ingénue
ne valent pas le dessein
promis par ta vertu
Les fleurs ont soudain
le parfum de ta peur
et quand tu te souviens
s’agite le chagrin
tu en fais ta demeure
des remparts de riens
Quand comprendras-tu?
tu es bien ce qui te plaît
Debut/Top
Amour Binaire (2009)
Par: Sybille Rembard
Tu es l’autre partition
solitaire et inséparable.
La vie sans toi sera néantisée.
Symbiose qui réjouit
ou véritable angoisse ?
Ta présence enflamme la dichotomie de notre amour,
fusionne nos étincelles.
Crois-tu pouvoir survivre ?
Moi, je sais !
Je marche à la dérive dans un désert en décomposition
avec cette seule pensée
un jour tu ne seras plus.
Et je serai
Dépariée.
Debut/Top
Je ne peux rien retenir
Par: Cécile Sauvage
Je ne peux rien retenir,
Ni la lune ni la brise,
Ni la couleur rose et grise
D’un étang plein de dormir ;
Ni l’amitié ni ma vie,
Ombre fuyante et pâlie
Dont je perds le souvenir.
Debut/Top
Tension (2021)
Par: Kamal Zerdoumi
La bête ivre de douleur
tire sur sa chaîne
sa pesanteur
à la vue de l’éternel passage
des oiseaux, du vent
et des nuages
Son imagination les suit
battements d’ailes, souffle
où formes étranges
Ainsi naît le poète
entre impossible essor
et élévation
Esclave du sort
affranchi de la mort
Debut/Top
Cauchemar
Par: Claude Luezior
en meutes carnassières
des cauchemars inassouvis
sans cesse à la maraude
traquent mes chairs
chiens de chasse
à l’automne ensanglanté
ils vagabondent et mordent
toute pensée en fuite
loques et outrages
ici se contorsionnent
et se démembrent par lambeaux
des caresses espérées
suis-je moi-même
gibier en sursis
ou acteur insensé
d’une fureur vive ?
en voilà qui halètent
de leur langue rugueuse
encadrée par des crocs
d’écume et d’ivoire
se hérissent les hurlées
de louves en gésine
dans un clair de nuit
que je crains hostile
*
pourtant ma petite chienne
s’est enroulée sur moi-même
apaisée sous ma main
tout près, en un soupir tiède
Debut/Top
Eternité (2016)
Par: Jules Delavigne
Il tombe dans le noir
Il aimerait atterrir
mais sa terre n’existe plus
Quelques rochers l’accompagnent
dans sa descente interminable
Il veut se réveiller
mais l’heure a déjà sonné
et il n’y a plus personne
et lui aussi, il n’est plus là
Il tombe dans le noir
sans le moindre espoir
Il aimerait se tuer
mais il est déjà mort
Il tombe dans le noir
le vide sous ses pieds
Il voudrait être dans le bain chaud
du ventre de sa mère
mais elle n’existe plus
Elle n’a jamais existé
Il tombe dans le noir
de l’obscurité
sans fin
Eternité
Debut/Top
Guerre (2015)
Par: Claire Raphaël
Les échos de la mort d’un peuple sacrifié
nous parviennent soudain par les couleurs sépia
arrachées à la poudre
de ces photographies d’un drame trop humain.
Nous regardons ces corps entrés dans l’agonie
calcinés par la peur
noircis par la folie
d’une guerre animale arrachant des enfants
à leurs rêves futurs et leurs destins s’épuisent.
Ces images mouillées par le sang des martyres
crèvent notre avenir
brisent nos lendemains
nos promesses de paix
nos serments les plus chers,
affirment la passion d’une histoire indomptable
où nos esprits nos âmes
souillées par la violence et son comptant de drames
tremblent sous les accords
d’un ciel plus ténébreux que l’image du mal.
Debut/Top
La Destruction (1857)
Par: Charles Baudelaire
Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon ;
Il nage autour de moi comme un air impalpable ;
Je l’avale et le sens qui brûle mon poumon
Et l’emplit d’un désir éternel et coupable.
Parfois il prend, sachant mon grand amour de l’Art,
La forme de la plus séduisante des femmes,
Et, sous de spécieux prétextes de cafard,
Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes.
Il me conduit ainsi, loin du regard de Dieu,
Haletant et brisé de fatigue, au milieu
Des plaines de l’Ennui, profondes et désertes,
Et jette dans mes yeux pleins de confusion
Des vêtements souillés, des blessures ouvertes,
Et l’appareil sanglant de la Destruction !
du livre: les fleurs du mal
Debut/Top
Victime
Par: Kamal Zerdoumi
Notre Terre
corps meurtri fait
de beauté défigurée
et de la poussière de nos morts
d’arbres abattus
exécutés dans les forets
d’ou fuit le chant de l’oiseau
étouffé par les tronçonneuses
d’hémorragies de pétrole
et d’océans en deuil
de requins à la dérive
qui rougissent le silence
des eaux
Notre Terre
à l’air irrespirable
dans le poison des villes
à la nature inaccessible
comme un rêve lointain
que le citadin amnésique
n’ose plus faire
Notre Terre
que l’orgueil luciférien
transforme en enfer
Debut/Top
Cette colère de vivre (2021)
Par: Bertrand Naivin
L’habiter
sans fuir
cette douleur dans le dos
cette peur dans la mâchoire
cette colère
de vivre
Debut/Top
Change (2019)
Par: Kamal Zerdoumi
Pour être la vie et la mort
pour rire des coups du sort
pour être les quatre saisons
pour être sans rime
ni raison
change
Pour ne ressembler à personne
pour être le cosmos
dans un atome
pour être la femme et l’homme
change
Pour rendre envieuses les statues
pour narguer le temps
qui te tue
pour aimer ce qui s’écoule
pour être cette pierre
qui sans cesse roule
change
Debut/Top
Elle (2016)
Par: Laetitia Sioen
Elle vit
Dans un monde qui n’existe pas.
Le désespoir est un venin,
Qui l’envahi chaque jour.
Ses peurs dictent ses pensées.
Elle, la magnifique, piquante,
À vif d’une passion ardente,
Au cœur cousu de blessures,
Marche à contre vent.
Le feu incessant la consume,
L’envie dévorante la pousse
À trouver un sens à sa vie.
Elle avance, coûte que coûte,
Pour son seul salut.
Elle, la courageuse,
Qui ose défier le temps,
L’humain,
À la recherche de justice.
L’originalité est son empreinte,
Le coeur entier elle avance,
Dans un monde qui n’existe pas,
Dans un monde qui est le sien.
Debut/Top